Lettres ouvertes
Projet de loi 176 modifiant les normes du travail
À voir les travaux parlementaires qui se déroulent présentement à l’Assemblée nationale concernant le projet de loi 176 modifiant la Loi sur les normes du travail, on dirait que le gouvernement et les parlementaires discutent d’un projet ne contenant que des vertus et peu, ou pas, de conséquences négatives, supposément. Bref, on dirait que personne ne se soucie un seul instant des impacts négatifs, notamment sur les coûts pour les entreprises, que le gouvernement évalue pourtant lui-même à près de 700 millions de dollars, dont la plupart sont récurrents année après année (chiffre qui sous-évalue les impacts réels qui représenteraient des milliards de dollars sur quelques années).
Qui plus est, certains trouvent que le projet de loi ne va même pas encore assez loin et qu’il faudrait en rajouter. C’est comme si, à la veille des élections, la prudence n’avait plus sa place et que la surenchère de bonnes intentions devenait la mode du moment.
Attention, les employeurs sont évidemment sensibles à la nécessaire conciliation travail-vie personnelle et ce n’est pas tant l’ajout de quelques journées de congés ou d’absences, ou bien des questions d’horaires de travail qui dérangent le plus les entreprises, quoique certaines propositions incluses dans le projet de loi alourdiront significativement leur fardeau administratif et réduiront la flexibilité dont elles ont au contraire besoin. De toute façon, dans le contexte actuel de pénurie de main-d’œuvre, les employeurs du Québec sont déjà en concurrence les uns avec les autres pour offrir des conditions de travail plus avantageuses visant à attirer, motiver et retenir les travailleuses et les travailleurs.
Ce que nous décrions ici, c’est la totale absence de débats, d’analyses, de réflexions, voire d’esprit critique, quant aux conséquences négatives d’un tel projet de loi sur le marché du travail, tant pour les employeurs que pour des milliers d’employés concernés. En effet, outre les coûts importants sous-évalués dont il est fait mention plus haut, le projet de loi 176 éliminerait à l’avenir pour les régimes de retraite et les avantages sociaux, la possibilité pour les employeurs d’accommoder différemment les employés ayant une plus grande ancienneté par rapport aux employés plus récents à la recherche d’un traitement différent, mais équivalent.
Or, comme nous l’avons déjà mentionné en Commission parlementaire, et qui ne semble pas avoir fait écho chez les législateurs, les employeurs concernés qui ont pris leurs responsabilités auparavant, risquent fortement de mettre fin aux régimes comportant plus de risques pour eux et, ce faisant, les employés ayant plus d’expérience en ressortiront perdants. Dans des cas rarissimes, si des employeurs optaient pour l’inverse, le manque de flexibilité qui en résulterait pénaliserait alors les employés plus jeunes. Ce projet de loi fera donc des perdants d’un côté comme de l’autre. De plus, nous avions mentionné qu’un tel changement législatif allait générer davantage de conflits de travail plus pénibles au sein des entreprises syndiquées, et c’est exactement ce qui commence à poindre à l’horizon devant l’absence de remises en question plus rigoureuses du projet de loi.
Il est aussi évident qu’une nouvelle obligation éventuelle à l’égard des salaires versés par les agences de placement à leurs employés, qui pourraient être désormais calculés en fonction des postes réguliers au sein de l’employeur client, occasionnera aussi des décisions douloureuses de la part des entreprises clientes en raison de ces coûts additionnels qui affecteront les investissements ou les employés réguliers au sein des entreprises. Sans tenir compte d’un ensemble de facteurs, on parle de plusieurs dizaines de millions de dollars en coûts additionnels non pris en compte dans l’évaluation gouvernementale.
Et ainsi de suite…
Vouloir adopter une réforme des normes du travail à toute vitesse sans approfondir les enjeux et les conséquences de manière plus approfondie est inapproprié à notre avis. En procédant dans le traitement du projet de loi 176 modifiant les normes du travail, comme s’il s’agissait simplement de l’envoi d’une lettre à la poste, le Québec risque fortement de se retrouver avec un colis explosif entre les mains. Comme quoi la vertu a ses limites.
Véronique Proulx, EMBA
Présidente – directrice générale
Manufacturiers et Exportateurs du Québec (MEQ)
Yves-Thomas Dorval
Président-directeur général
Conseil du patronat du Québec
Stéphane Forget
Président-directeur général
Fédération des chambres de commerce du Québec