Lettres ouvertes
Tours d’éoliennes importées d’Asie : Soyons sérieux avec l’achat local
14 octobre 2025
Contexte
Nous avons reçu énormément de messages d’entrepreneurs, manufacturiers, travailleurs et travailleuses déçus, sinon en colère. Dans le plus important parc éolien du Québec s’élèveront des tours importées d’Asie en acier chinois1. Comment accepter qu’on n’ait pas favorisé les aciéries québécoises et Marmen, seul manufacturier québécois de tours d’éoliennes ?
Comment expliquer que tant de gouvernements dans le monde parviennent à tirer pleinement profit des contrats publics pour générer des retombées locales et sociales significatives, et ce, dans le respect des accords commerciaux internationaux, alors que nos propres gouvernements semblent incapables d’en faire autant ?
À un moment donné, il va falloir être sérieux au Québec concernant l’achat local et ça doit être maintenant. Les entreprises d’ici sont prêtes à répondre à l’appel et ont besoin d’un signal clair.
On est à l’aube d’une séquence historique d’investissements publics avec la transition énergétique et les 200 milliards d’investissements d’Hydro-Québec, le TGV Québec-Toronto et d’autres projets de transport collectif, des investissements massifs en défense, le renouvellement de plusieurs écoles ou hôpitaux devenus désuets, la reconstruction de réseaux d’aqueduc et d’autres infrastructures municipales mal adaptées aux changements climatiques.
L’approvisionnement public au Québec est encore fortement imprégné du principe du plus bas soumissionnaire. Si on continue d’y adhérer, c’est probablement parce que c’est plus facile de trancher en fonction d’un prix qu’en fonction de la valeur d’une proposition. Pourtant, ce ne sont pas les exemples qui manquent pour nous inspirer. Chaque contrat attribué à l’étranger, ce sont des emplois perdus, des familles qui s’inquiètent, des régions qui stagnent. Ce sont aussi des occasions manquées de bâtir une économie plus verte, plus innovante.
Considérer l’ensemble des coûts
Effectivement, c’est parfois moins cher en Asie pour plusieurs raisons bien documentées allant des bas salaires à une faible réglementation environnementale, voire du dumping. Mais est-ce encore moins cher quand on considère les autres coûts qui s’ajoutent au prix d’achat ? Coût de transport. Coût environnemental. Coût d’opportunité, c’est-à-dire ce à quoi on renonce en achetant en Chine, par exemple : les emplois qui ne sont pas créés chez nous, les impôts qui ne sont pas perçus par nos gouvernements, les projets de croissance qui ne sont pas réalisés par nos entreprises, les expertises qui ne sont pas développées dans nos régions… Ces critères doivent être considérés.
De si nombreux exemples dans le monde
Au Royaume-Uni, le gouvernement applique les principes Value for Money (valeur en fonction du montant) et Social Value Model (valeur sociale) pour accorder plus de poids dans les grilles de sélection à l’emploi local, aux retombées sociales ou à la réduction des émissions. Dans l’Union européenne, une directive de 2014 a généralisé l’approche de l’offre la plus avantageuse économiquement et introduit l’analyse du coût du cycle de vie du produit. En France, tout contrat public de plus de 50 millions d’euros est soumis au schéma de promotion des achats socialement responsables. On pourrait aussi parler des États-Unis (Buy America Act), de la Nouvelle-Zélande (politique des Broader Outcomes), de l’Écosse (Community Benefit Clauses), des Pays-Bas (politique de la Best Value Performance)…
Autant d’exemples de gouvernements qui voient plus largement que le coût d’acquisition immédiat.
Avec le temps, on a appris à devenir fiers des Aliments du Québec, mais sait-on seulement qu’il existe aussi la certification Les Produits du Québec ? Il faut sortir des ornières du plus bas soumissionnaire, réaliser la valeur structurante de l’achat chez nous et assumer un sain nationalisme économique qui va au-delà des mots. Et ça commence avec l’exemplarité de l’État, de ses sociétés et de nos autres fleurons. La nouvelle vision économique du gouvernement doit impérativement passer par un changement de paradigme en matière d’approvisionnement public. À la fin, nous serons tous gagnants.