Lettres ouvertes

Taxer le luxe, une fausse bonne idée

11 juin 2022

Ce ne serait pas la première fois. Une mesure à la base motivée par la vertu qui se traduit par des effets pervers. C’est le scénario qui se dessine si la Loi sur la taxe sur certains biens de luxe est adoptée et entre en vigueur en septembre, comme envisagé.

Dans sa forme actuelle, la loi ne fait pas que viser les Canadiens les plus fortunés, elle s’attaque aussi directement à nos entreprises manufacturières et à leur compétitivité. Et de façon plus particulière dans le secteur de l’aéronautique, un pilier de l’économie et du savoir-faire au pays qui comptent des milliers de travailleurs partout au Québec.

Pour mieux comprendre, voici ce que prévoit la loi. La taxe de luxe pour les voitures et aéronefs qui se vendent plus de 100 000 $ et pour les yachts de plus de 250 000 $. Le taux variera entre 10 et 20 %.

Bombardier a déjà indiqué publiquement les impacts négatifs et immédiats de cette taxe, notamment des suspensions et des annulations de commandes.

Il y aura une cascade de répercussions, alors que le Canada perdra, entre autres, du même coup les activités liées à la maintenance de ces appareils au profit des États-Unis.

Dans le contexte actuel, alors que l’aérospatial peine à sortir la tête de l’eau, nous n’avons de toute évidence pas besoin de ça. De plus, cela viendrait affaiblir un maillon important de la chaîne de l’industrie nautique.

Quand le Canada valorise les constructeurs étrangers

Taxer les citoyens les plus riches apparaît attrayant. L’objectif de cette taxe est certes louable, mais elle rate la cible et tire dans le pied de nos fabricants. Les manufacturiers québécois, comme Princecraft ou encore Bombardier, leurs fournisseurs ainsi que leurs réseaux de concessionnaires qui emploient des milliers de travailleurs dans la province, seront nettement désavantagés par rapport aux manufacturiers américains.

Pourquoi ? Parce que leurs clients canadiens vont inévitablement se tourner vers des produits américains afin d’éviter de payer cette taxe canadienne. Il y aura une cascade de répercussions, alors que le Canada perdra, entre autres, du même coup les activités liées à la maintenance de ces appareils au profit des États-Unis.

Il y a d’autres façons d’atteindre les objectifs visés par cette taxe. Par exemple, il y aurait lieu de réduire le seuil de 90 % d’utilisation pour fins d’affaires, qui n’est pas raisonnable, ni compatible avec les autres lois fiscales canadiennes.

Encourageons la vente de produits fabriqués ici, pas le contraire !

Il est incompréhensible que le Canada cherche ainsi à dissuader les Canadiens d’acheter des produits fabriqués ici, alors qu’on assiste à une montée de protectionnisme dans le monde entier avec des initiatives pour encourager l’achat local.

Non, ce ne serait pas la première fois qu’une mesure gouvernementale entraîne un impact pernicieux. Mais personne ne pourra dire cette fois qu’il n’avait pas été prévenu.

Le temps presse, mais il est encore temps pour Ottawa de revoir sa loi et de protéger le secteur manufacturier, véritable pilier de notre économie.

VÉRONIQUE PROULX ET SUZANNE M. BENOIT RESPECTIVEMENT PRÉSIDENTE-DIRECTRICE GÉNÉRALE DE MANUFACTURIERS ET EXPORTATEURS DU QUÉBEC ET D’AÉRO MONTRÉAL