Lettres ouvertes
En réponse à Michael Sabia – Les zones d’ombre dans le discours d’Hydro-Québec
7 février 2025
Contexte
L’économie québécoise fait face à un choc majeur. Avec les menaces tarifaires de l’administration Trump contre le Canada, plusieurs secteurs industriels se retrouvent plongés dans une incertitude sans précédent.
Déjà sous pression face à ces nouvelles barrières commerciales, les entreprises québécoises voient s’ajouter une contrainte supplémentaire ici même, avec la hausse annoncée des tarifs d’électricité. Défendue par le président-directeur général d’Hydro-Québec dans une lettre publiée le 30 janvier1, cette augmentation risque d’éroder encore davantage leur compétitivité, fragilisant ainsi notre développement économique.
D’emblée, clarifions les choses : la communauté d’affaires québécoise adhère à l’ambition d’Hydro-Québec de sécuriser notre avenir énergétique à long terme et de mener à bien la transition énergétique. Toutefois, il est essentiel d’y parvenir sans compromettre la stabilité, la fiabilité et la prévisibilité en apport énergétique dont les entreprises ont besoin pour prospérer.
Sans un accès fiable et compétitif à l’énergie, le développement économique sera compromis, et ce sont les entreprises québécoises qui en subiront les premières conséquences.
Les tendances « lourdes » ou « sans équivoque » mentionnées par M. Sabia concernant l’évolution des tarifs d’électricité aux États-Unis ne donnent qu’un aperçu partiel de la situation. Il est vrai que la demande augmente, que des investissements majeurs sont requis et qu’une certaine pression à la hausse sur les tarifs est anticipée. Cependant, les données présentées ne rendent pas pleinement compte de la réalité du marché, et un portrait plus juste s’impose.
Des augmentations tarifaires en deçà des niveaux québécois
Selon l’Energy Information Administration (EIA) américaine, la moyenne de la hausse des tarifs d’électricité toutes clientèles confondues aux États-Unis sera de 4,5 % entre 2024 et 2026. Si on regarde de plus près, on constate que pour le secteur industriel, ces hausses seront de seulement 1,8 % en 2025 et 1 % en 2026, bien loin des 4 à 5 % annuels avancés par Hydro-Québec et le gouvernement du Québec pour la prochaine décennie (soit de 2 à 3 fois plus que le taux d’inflation anticipé).
Ces hausses seront d’ailleurs encore plus faibles dans certains États de la vallée du Mississippi, en concurrence directe avec le Québec dans plusieurs secteurs industriels. Même que dans certains États, comme l’Arkansas, la Louisiane, l’Oklahoma et le Texas, il est prévu que les tarifs industriels diminuent au cours de cette période.
À plus long terme, les prévisions de l’EIA montrent une croissance attendue des tarifs industriels, avec une augmentation moyenne d’environ 1,5 % par an entre 2023 et 2050. En tenant compte de l’inflation, cela signifie que, concrètement, les prix de l’électricité industrielle aux États-Unis devraient baisser de plus de 20 % par rapport aux niveaux de 2022 d’ici 2035. Il est difficile de voir comment Hydro-Québec pourrait augmenter les tarifs industriels deux fois plus vite que l’inflation tout en favorisant la décarbonation de l’industrie québécoise.
Aussi, affirmer que les Américains ont peu investi dans leur production électrique est très loin de la réalité. Depuis 2020, nos voisins ont ajouté 154 GW au réseau – principalement en éolien, solaire et batteries – grâce à des investissements de centaines de milliards. C’est plus de 22 fois la nouvelle puissance qu’Hydro-Québec prévoit mettre en service d’ici 2035.
Bref, face à une demande croissante, les États-Unis investissent massivement et continueront de le faire. Pourtant, cela ne fait pas grimper les tarifs aussi vite qu’au Québec, surtout pour les entreprises, particulièrement dans plusieurs États qui concurrencent nos usines en région.
Déjà fragilisée par l’imposition potentielle de tarifs douaniers et toute l’incertitude qui en découle, la compétitivité des entreprises québécoises doit être préservée.
Le gouvernement du Québec ne peut revenir sur les décisions de Washington, mais il a toute latitude pour utiliser notre énergie comme levier économique. Il ne s’agit pas d’un traitement de faveur pour nos entreprises, mais d’un tarif qui reflète le véritable coût de production et d’acheminement de l’électricité, tout en assurant le maintien et le développement du réseau ainsi que des profits raisonnables.
Collectif de signataires:
Karl Blackburn, président et chef de la direction, Conseil du patronat du Québec
Dimitri Fraeys, vice-président, innovation et affaires économiques, Conseil de la transformation alimentaire du Québec
Yves Hamelin, directeur régional, Québec, Association canadienne de l’industrie de la chimie
Jean-François Samray, président-directeur général, Conseil de l’industrie forestière du Québec
Jean Simard, président et chef de la direction, Association de l’aluminium du Canada
Julie White, présidente-directrice générale, Manufacturiers et exportateurs du Québec
